Le tourisme diasporique, un levier pour l’économie haïtienne ?
Le carnaval national d’Haïti, l’un des plus grands évènements culturels du pays, va se dérouler dans la capitale haïtienne du dimanche 11 au mardi 13 février 2018. L’occasion pour des milliers d’Haïtiens évoluant à l’étranger de retourner au pays. L’opportunité de réfléchir à l’importance que pourrait jouer la diaspora haïtienne dans l’activité touristique d’Haïti. Car « la fête, cet interstice singulier de l’espace-temps (Guy Di Méo, 2001), si elle reste nécessairement extraordinaire, a néanmoins le pouvoir de requalifier les lieux, de les transformer et de leur donner du sens tant par les habitants que pour les visiteurs (Élodie Salin : 302) ». Cette requalification des lieux est souvent à l’origine d’une forme de tourisme – tourisme diasporique — qui prend de plus en plus de place dans les études sur le tourisme dans le monde.
L’avènement de l’internet et la montée en puissance des Technologies de l’information et de la Communication (TIC) facilitent une nouvelle représentation du pays d’origine chez les immigrés qui veulent de plus en plus préserver des liens avec l’alma mater. Certains chercheurs comme Tristan Mattelart (2009) et Nozha Smati (2013) parlent du caractère transnational des immigrés qui vivent entre les frontières et qui profitent des moindres occasions comme le mariage, les fêtes et les vacances pour retourner dans leur pays. Selon ces chercheurs, les TIC offrent la possibilité aux immigrés d’expérimenter une nouvelle forme d’exister « dans la mesure où on assiste à des passages mouvants, à la dissolution des frontières, à des entre-deux, à des va-et-vient entre le local et le global, entre le pays d’origine et pays d’installation, entre territorialisation et déterritorialisation » (Nozha Smati, 2013:107). À travers ces mobilités transfrontalières, les activités touristiques occupent une place importante chez certains migrants qui partent à la recherche de ce territoire perdu par l’exil.
Quel est le rapport du tourisme avec la diaspora ?
En effet, pendant longtemps, les migrants qui étaient de retour dans leur pays d’origine n’étaient pas considérés comme des touristes par des chercheurs qui se penchaient sur ce domaine. Pour ces chercheurs surtout en géographie, ces personnes n’étaient que de simples citoyens qui visitent leur pays, leurs familles et leurs amis. Aujourd’hui, un autre regard se porte sur cette catégorie de personnes. On se rend compte que ces immigrés ne retournent pas dans leur pays que pour voir la famille, mais ils viennent pour consommer, visiter et réapproprier certains héritages culturels de leur pays d’origine. Certains immigrés de la deuxième et troisième génération retournent, quant à eux, sur les terres de leurs ancêtres à la recherche de leur identité. Ces derniers, qui n’ont souvent aucun ancrage territorial, optent pour un hébergement commercial, réalisent des excursions et visitent des lieux touristiques pour découvrir l’histoire du pays de leurs ancêtres. Un nouveau marché touristique s’ouvre pour les immigrés et leurs descendants.
Cependant, les concepts « diaspora » et « tourisme » ne font pas toujours bon ménage. La diaspora est souvent marquée par la contrainte du départ et l’affliction, alors que le deuxième incarne l’intention et l’agrément (Saghi, 2011). Considérée souvent comme une perte nationale avec le départ vers d’autres cieux, la diaspora deviendrait aujourd’hui une ressource pour des destinations touristiques. Un pays comme Haïti ne devrait pas être insensible par rapport à sa diaspora qui est devenue plus connectée à Haïti via les Technologies de l’information et de la communication (TIC).
Les Technologies de l’information et de la communication (TIC) favorisent un autre regard des immigrés sur leur pays d’origine. Considérés comme des « déracinés » dans les premières recherches sur la migration, les migrants sont aujourd’hui des citoyens du monde qui restent en contact avec leur pays, leur culture et leur histoire. Ces immigrés visitent leur pays et partent souvent à la recherche d’un passé souvent lointain, ancré dans des patrimoines matériels et immatériels. Le tourisme est devenu aujourd’hui un pôle majeur pour l’économie des pays. Des immigrés retournent dans leur pays d’origine et d’autres personnes profitent de leurs vacances pour visiter certains sites faisant partie du patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette façon « d’habiter » touristiquement certains territoires génère souvent des bénéfices considérables pour les territoires d’accueil. En 2017 par exemple, l’Europe accueillait 616 millions de touristes (soit la moitié du total mondial sur l’OMT) pour 447 milliards de dollars de recettes. Les Amériques comptabilisaient 16 % d’arrivées mondiales de touristes (199 millions) et 26 % des recettes (313 milliards de dollars).
Le tourisme comme levier de développement
Dans un article publié en 2015, le professeur Hugues Séraphin a souligné l’importance que peut avoir la diaspora haïtienne dans le développement touristique du pays. En analysant les forces et faiblesses, opportunités et menaces (SWOT) de cette destination, Séraphin a souligné que la diaspora haïtienne doit être considérée comme « le coeur de cible idéal pour le développement durable du tourisme en Haïti » (Séraphin : 2015). La volonté gouvernementale, qui veut placer les habitants au coeur des projets touristiques du pays à travers la campagne (Zafè touris se Zafè tout moun), doit tenir compte non seulement des étrangers qui viendront visiter le pays, mais également des migrants haïtiens et de leurs descendants.
Contrairement aux années 1960-1970, la mondialisation touristique « ne conduit pas seulement à des circulations transcontinentales : elle va de pair avec la régionalisation » (Pleyel : 86). Le dernier rapport de l’OxMT montre que les flux touristiques s’inscrivent davantage aujourd’hui dans la proximité. « Quatre arrivées sur cinq dans le monde proviennent de la région. En Corée du Sud par exemple, plus de 80 % des visiteurs viennent d’Asie Pacifique […] 80 % des voyages touristiques des Sud-Coréens à l’étranger se rendent en Asie, essentiellement en Chine, au Japon et en Thaïlande ». Il existe un certain engouement régional qui se traduit en matière touristique et qui explique la nécessité pour certaines destinations de favoriser le tourisme diasporique même si l’idée n’est pas de tourner le dos aux touristes étrangers. Dans le cas d’Haïti, la communication du ministère du Tourisme pourrait faire de sa diaspora un levier essentiel pour le développement du tourisme dans ce pays. Pour cela, l’État haïtien devrait créer des conditions pour faire de sa diaspora un « support de communication institutionnalisé », en étant un acteur du secteur du tourisme et en mobilisant des consommateurs à la recherche d’un passé qui permet de constituer un présent. Du coup, l’État doit prendre un ensemble de mesures pour éveiller la conscience identitaire chez sa diaspora tout en mettant en valeur les patrimoines matériels et immatériels de ce pays.
Le tourisme de mémoire comme modèle de développement du tourisme diasporique
Comme disait Mari-Blanche Foucard, le tourisme diasporique peut aider « ceux qui ont quitté leur terre natale et ceux qui, nés en diaspora, à mieux connaître leur pays d’origine à travers des visites touristiques […]. Dans un cas, les touristes migrants retournent sur leurs pas et, dans l’autre, ils découvrent un pays imagé » (Foucard, 2010). Le développement d’une conscience d’appartenance commune (Pulvar, 2006) afin que les Haïtiens de la diaspora aient l’impression d’être des “citoyens à part entière” et non des citoyens entièrement à part (Dewitte, 2002) s’est révélé être très important (Séraphin : 2015). Ce travail à la citoyenneté nécessite une meilleure reconnaissance de la part de l’État haïtien qui doit impliquer davantage ces individus qui développent un autre rapport avec Haïti à l’ère du numérique.
La question du tourisme diasporique pourrait faire appel en ce sens à la notion de tourisme de mémoire qui occupe une place de choix dans les recherches sur le tourisme aujourd’hui. Théorisé dans les années 1980 par l’historien Pierre Nora, le lieu de mémoire s’impose comme la notion principale pour parler de pratiques sociales tournées vers les « usages du passé » (commémorations, visite des musées, généalogie, etc.) lorsqu’il s’agit de parler de tourisme de mémoire. La notion « tourisme de mémoire » ou « tourisme des racines » « permet de questionner les liens entre voyages, situation de déracinement, d’éloignement ou de rupture-réelle ou imaginée, vécue ou « inventée — et intention de « retour vers » ou de « rapprochement » de « lieux perdus » ou des « origines » (Anne Hertzog : 2017). Les patrimoines du pays comme les sites formant le PNH (Citadelle Lafferrière, Sans Souci et Ramiers) peuvent faire partie des premiers sites sur lesquels l’État haïtien pourrait fonder sa politique de mémoire. Ces lieux de mémoire qui constituent une page importante de l’histoire d’Haïti peuvent être mis en avant pour inciter des immigrés haïtiens à visiter le Nord d’Haïti, par exemple.
Enfin, si les transferts de la diaspora représentent plus de 30 % du PIB d’Haïti en 2017, avec 2,7 milliards de dollars en 2017 contre 2,3 milliards en 2016, l’État haïtien à travers le ministère du Tourisme ne doit pas considérer cette diaspora comme seulement des pourvoyeurs de fonds au pays. La diaspora haïtienne peut et doit être comprise comme des consommateurs touristiques à part entière. Car il est empiriquement démontré, dans une étude de cas menée à Samoa, que le tourisme intérieur peut avoir des avantages économiques, socio-culturels et politiques importants et qu’il ne devrait pas être traité en “poor cousin” (Scheyvens, 2007). En ce sens, on comprend pourquoi il est urgent de penser la politique touristique d’Haïti en lien avec la diaspora haïtienne qui s’attache de plus en plus à son passé et à son héritage culturel.
Jocelyn Belfort
Bibliographie
Anne Hertzog, Tourisme de mémoire, tourisme mémoriel, tourisme des racines : lieux, mémoires, expériences touristiques, Armand Colin, Paris, 2017.
Anthony Goreau-Ponceaud, « Pratiques touristiques de et en diaspora », Mondes du Tourisme [en ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 9 février 2018. URL : http://tourisme.revues.org/278 ; DOI : 10.4000/tourisme.278
Emmanuelle Peyvel, la mondialisation du tourisme, (80-88) in Edith Fagnoni (dir), Les espaces du tourisme et des loisirs, Armand Colin, Paris, 2017.
Hugues Séraphin et Bénédique Paul, « La diaspora : un levier pour le développement du tourisme en Haïti », Mondes du Tourisme [en ligne], 11 | 2015, mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 09 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/ tourisme/990 ; DOI : 10.4000/tourisme.990
Marie-Blanche Fourcade, « Tourisme des racines », Téoros [en ligne], 29-1 | 2010, mis en ligne le 01 juin 2012, consulté le 09 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/ teoros/483
Cet article Le tourisme diasporique, un levier pour l’économie haïtienne ? est apparu en premier sur Quotidien Le National.
Commentaires
Publier un commentaire